Cinéma
- gregos343
- Apr 9
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Updated: Apr 26
Dès sa première diffusion, le cinématographe fit sensation. À l’époque, les gens vivaient au jour le jour, chacun œuvrait à sa subsistance quotidienne et le passé était révolu pour tous et pour toujours. D’où le fait que l’expérience proposée par le cinématographe fut véritablement phénoménale.
L’originalité du cinématographe réside dans son aptitude à capter une suite d’instants, à saisir une séquence temporelle. Au départ il n’avait qu’un objectif, il enregistrait dans sa bobine les scènes du quotidien puis il les reproduisait fidèlement. Certes, il y a eu quelques ratages (surtout les premières fois) : opaque, flou, ou ayant besoin d’un bon recadrage, il avait fait de mauvaises impressions mais demeurait néanmoins un prodige à l’immense potentiel car il nous offrait la possibilité de conserver le souvenir du passé, le souvenir vivant – on s’aperçut seulement plus tard que la bobine se dégradait avec le temps, faisant disparaître à jamais ces instants uniques.
Des foires de village aux salons bourgeois, le cinématographe conquit rapidement un large public ; et bien qu’il fut encore muet et assez précaire à ses débuts, son avenir était très prometteur. Or, sa gloire ne tarda pas, elle survint aussitôt qu’on découvrit sa véritable vocation : susciter l’émotion.
Revivre des instants passés a quelque chose de magique, d’émouvant. Aussi, l’usage premier que l’on fit du cinématographe fut de recueillir les évènements marquants d’une vie : mariages, naissances, anniversaires… Le passé n’était plus révolu pour toujours ; grâce au cinématographe, il pouvait ressusciter.
Assez vite, certains conçurent l’idée d’employer le cinématographe dans une autre perspective : celle d’offrir un regard original sur les scènes du quotidien. Le cinématographe donna ainsi à voir des paysages ordinaires sous un angle nouveau, il mit en lumière des moments choisis de l’existence, faisant ressortir la magie de ce qui, chaque jour, nous est donné à voir et à revoir. Rendant à la banalité une tournure exceptionnelle, le cinématographe passa de simple moyen de reproduction à source de fraîcheur, vecteur de création.
Mais bien que le cinématographe ne laissa personne indifférent, rares furent les personnes à se consacrer à son développement. Celles et ceux qui s’appliquèrent à l’améliorer gagnèrent rapidement en stabilité, en habileté et en précision. La couleur et le son apparurent, offrant encore plus de sensations. Et bientôt le réalisme fut tel qu’il devint difficile pour certains de distinguer la fiction du réel.
Le cinématographe gagna alors en popularité. Poètes, créateurs et artistes furent les premiers à en faire un usage soutenu, produisant des œuvres innovantes dont certaines marquèrent l’histoire. Usant d’ingénieux artifices, ils poussèrent le réalisme à son paroxysme. On eut alors droit à toutes sortes d’impressions : spectaculaires, dramatiques, tragiques, romanesques, poétiques, et parfois même soporifiques. Le cinématographe proposa également des représentations allégoriques de l’existence, reprenant les thèmes intemporels de la philosophie antique. L’art cinématographique était né.
Assez vite, on put assister à des projections quotidiennes. Chacun pouvait se faire un film quand bon lui semblait, de jour comme de nuit ; le cinématographe promettait des spectacles à faire frissonner, aimer, rire, ou pleurer. Avec la démocratisation du cinématographe, bientôt tout homme, toute femme et tout enfant put se faire ses films ; et si certains se cantonnèrent à un pragmatisme dépourvu de fantaisie, d’autres usèrent de ce vecteur pour réaliser leurs rêves les plus fous. Il y eut aussi – et c’est regrettable – certaines productions affreusement malsaines. À cela, il est bon de rappeler que, derrière l’objectif, il n’y a pas seulement un spectateur, mais aussi un acteur, un réalisateur. Ainsi, comme tant de choses en ce monde, le cinématographe est un outil à manier avec tact, tant il peut causer des dégâts quelquefois irréversibles.
De nos jours, grâce au progrès, tout le monde (ou presque) dispose en permanence d’un cinématographe. Son nom a changé – à chaque époque son langage – et ses performances sont mille fois supérieures à ce qu’elles étaient. Mais il a perdu de son originalité, il est tombé dans la banalité. On rencontre de plus en plus de gens qui se font des films pour tout et n’importe quoi. Or, la question se pose : sommes-nous cinéastes pour autant ? Passe encore qu’un enfant fasse son cinéma, mais qu’en est-il des adultes ? À cela, on pourrait répondre : « n’est pas artiste qui veut », comme quoi il ne suffit pas d’avoir un objectif et une bobine – fut-elle bien pleine – pour produire un chef d’œuvre. C’est vrai. Toutefois, l’art s’exerce ; et il demande peu de choses : du réalisme, un brin de fantaisie, de l’émotion et une franche sincérité, et chacun est en mesure de se produire son chef d’œuvre ; c’est la magie du cinéma.
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