Erreurs épistémologiques
- gregos343
- Apr 9
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Updated: 12 hours ago
Reine des sciences, l’épistémologie soumet l’étude scientifique à l’étude. En quelques mots, l’épistémologie étudie la validité des postulats, des méthodes et des conclusions, dans une science particulière. Par exemple, elle questionnera le postulat selon lequel étudier un système n’affecte pas le système en soi ; concernant la méthode, elle investiguera l’absence éventuelle de cohérence dans les expérimentations ; pour les conclusions, l’épistémologie interrogera la pertinence et l’objectivité de l’étude dans son ensemble.
En ce qui nous concerne, nous avons commis une double erreur épistémologique : une erreur de postulat, en négligeant l’impact de notre étude sur le système étudié, et une erreur méthodologique, en omettant d’intégrer les parties dans une optique globale. Nous avons décortiqué ces erreurs afin de les comprendre. Nous espérons être exacts dans nos conclusions.
Le réseau de mesure était prévu pour être dense : des dizaines de milliers de stations automatiques seraient installées en diverses régions de la planète, chaque station se composant d’une trentaine d’instruments mesurant autant de paramètres. À cela s’ajouterait un monitoring spatial : une douzaine de satellites en orbite terrestre seraient équipés de technologies d’imageries à hautes résolutions afin de suivre les dynamiques sur des régions étendues. Les données recueillies au sol et depuis l’espace transiteraient via un réseau international d’antennes satellites ou à ondes électromagnétiques pour être stockées sur des serveurs informatiques localisés aux quatre coins du globe. Nos équipes de recherches, opérationnelles sur tous les continents, se chargeraient alors de télécharger et de traiter ces données. Puis, après avoir effectué des milliards de simulations sur ordinateurs, ils seraient en mesure d’offrir leurs recommandations pour sauver la planète.
En ce qui concerne la partie technique du projet, des centaines de milliers de personnes furent impliquées. La planification et l’exploitation du réseau de mesure décrit ci-dessus fut laissée à la responsabilité des chercheurs, tandis que la conception des instruments et logiciels fut à la responsabilité des ingénieurs. Quant à la fabrication, elle revint à divers industriels, ces-derniers se reposant sur des compagnies chargées de l’extraction et de la transformation des matières premières minérales et organiques : cobalt, lithium, fer, sodium, titane, or, cuivre, manganèse, pétrole, etc.
En reprenant la chaîne dans l’autre sens (le sens chronologique), les matières premières furent extraites de gisements divers sous formes brutes, puis transformées sur place, ou transportées vers des usines de transformation, avant d’être acheminées vers les ateliers où furent produites les pièces constitutives des appareils ; ces pièces furent ensuite livrées aux entreprises qui se chargèrent de fabriquer les appareils à proprement dit. Bien sûr, pour extraire, transformer, transporter et fabriquer, il fallut des machines ; elles-mêmes furent fabriquées suite à l’extraction, la transformation et le transport de matières premières.
Les appareils, une fois fabriqués, furent livrés aux ingénieurs qui les calibrèrent ; puis à nouveau acheminés vers les chercheurs qui se rendirent sur le terrain afin de les installer. En parallèle, furent construites les fusées où prirent places les satellites équipés de divers instruments de mesures ; tout cela conçu par les ingénieurs et fabriqué par les industriels ayant reçu les matières premières de la part des compagnies minières.
Comme nous pouvons le constater, le procédé fut complexe et global, et sa réalisation remonte à des temps bien antérieurs à l’idée-même du projet.
En ce qui concerne la partie opérationnelle du projet nous devons considérer les ressources humaines en leur totalité. Nous avons mentionné les chercheurs, ingénieurs, techniciens et ouvriers : plusieurs centaines de milliers de personnes, auxquelles il faut ajouter les membres des équipes administratives : secrétaires, assistants, comptables, chefs, sous-chefs, directeurs, sous-directeurs, présidents, vice-présidents, membres de conseils divers et variés… ce qui élève le nombre de personnes impliquées dans le projet à plusieurs millions. Un nombre auquel nous ajouterons tous les acteurs politiques, diplomatiques, économiques et financiers des quelques 330 pays officieux et officiels de la planète ; ce qui élève l’estimation à plusieurs dizaines de millions de personnes.
Durant la mise en place du projet, toutes ces personnes ont eu besoin de se nourrir, se vêtir, se loger, se soigner, s’éduquer, et aussi se divertir. Il aura donc fallu tout un lot d’industries, d’institutions et d’administrations pour fournir les moyens d’existence à ces très nombreuses personnes. Matériellement, le coût fut astronomique. Et il nous faut évidemment aussi compter les personnes impliquées dans ces diverses structures, celles ayant produit et fournit la nourriture, les vêtements, les logements, les soins, l’éducation, et les divertissements... elles aussi ont eu besoin de se nourrir, se vêtir, se loger, se soigner, s’éduquer et se divertir. La chaine est sans fin.
Le nombre exact d’individus impliqués directement et indirectement par la mise en place de ce projet est incommensurable. D’une certaine manière, nous pouvons considérer que chaque être humain sur la planète a contribué, de près ou de loin, à la réalisation de ce projet. Sous cet angle, nous sommes tous coupables de son monumental échec.
Car lorsqu’enfin les satellites furent placés en orbite, que le réseau d’antennes et de stations de mesures fut installé, que le projet fut opérationnel et que les premières données arrivèrent dans les bureaux climatisés de nos équipes de recherches situées aux quatre coins du globe, il n’y avait plus rien à mesurer, la vie s’était éteinte dans les écosystèmes vitaux de la planète ; nous étions en mesure de tout savoir et il n’y avait plus rien à connaître.
En conclusion, nous sommes face aux plus grandes erreurs épistémologiques de tous les temps : trop focalisés sur notre ambitieux projet, nous avons négligé son impact écologique planétaire, chacun concentré sur son labeur, personne n’a saisi l’ampleur de ce qui était en train de se réaliser ; erreur dans le postulat, erreur dans la méthodologie. Nous espérons néanmoins que notre conclusion sera exacte, pertinente et objective : c’est la fin.
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