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Flipper

Updated: 13 hours ago

Je me suis faite flipper pour rien. Mais maintenant je sais de quoi il en retourne : tout ceci n’est qu’un jeu ! Et voici comment il se présente.


Le principe est simple : il n’y a qu’un but, un seul, progresser. Et pour autant que vous arriviez à des niveaux record, votre nom sera inscrit dans l’histoire.

Nous n’y prêtons guère attention – il faut savoir où regarder, or le jeu captive – mais nous avons trois vies consécutives : il y a la vie du début, celle du milieu, et celle de la fin. Il est possible d’obtenir des vies supplémentaires pour peu que nous accumulions suffisamment de bons points. Ainsi, le jeu peut potentiellement durer toujours ; mais ça n’arrive jamais, car force est de constater que notre longévité est essentiellement dépendante de l’organisation préétablie, des lois et des aléas, et assez peu de notre habileté propre au jeu. En somme, la plupart du temps nous sommes réduites à être simples spectatrices de ce qui nous arrive – bien qu’on puisse avoir l’impression du contraire.


Que nous soyons fragiles comme le verre ou faites d’acier trempé, au commencement c’est pareil pour toutes. Propulsées à plus ou moins grande vitesse, franchissant un étroit couloir, nous arrivons au sein d’un jeu dont les règles ont été fixées par avance. En outre, notre situation de départ est déterminée par la structure en place, nous ne pouvons pas faire comme bon nous semble et commencer où nous voulons. Au cours du jeu, les lois couplées aux aléas détermineront essentiellement notre cheminement et – n’en déplaise à certaines – notre potentiel d’action sera et demeurera extrêmement limité. En effet, n’allons pas croire que nous choisissions sciemment nos trajectoires, elles s’imposent à nous par la force des choses, et lorsque le cas se présente de pouvoir agir délibérément, le choix d’agir ou non, c’est-à-dire la puissance donnée à l’action, reste le seul élément où nous puissions faire usage d’une authentique liberté (il faut cependant exclure le cas du geste réflexe).


Voyons les lois. Premièrement, le principe d’inertie veut que nous suivions toujours une trajectoire rectiligne, bille en tête, à vitesse constante (si on néglige les résistances), jusqu’à faire une rencontre qui nous fera gagner ou perdre en vitesse et modifiera éventuellement notre trajectoire (notons ici qu’à quelques occasions nous pourrons par nous-mêmes les modifier). Ces altérations de vitesse et de trajectoire détermineront notre parcours et, tant que nous serons en mouvement, le principe d’inertie prévaudra, nulle n’y échappera et notre progression sera hautement prédictible.

Deuxièmement, la gravité. Tout est sujet à gravité, même si cela ne nous apparaît clairement qu’en des circonstances particulières. Quand notre vitesse est freinée, que notre mouvement est arrêté, que nous sommes figées, alors la gravité nous saisit ; elle nous tire vers le bas et nous entraîne vers le fond. Voilà pourquoi il est recommandé de ne jamais s’arrêter de bouger. Dans le cas où la gravité nous entraînerait vers le fond, seul un aléa (une rencontre) ou, si les circonstances le permettent, un élan qu’on se donnerait au bon moment et de la bonne manière, peuvent nous sauver en nous fournissant une force nouvelle et une nouvelle direction ; nous retrouverons alors une inertie propre à contrecarrer la gravité. Mais fatalement, et c’est inéluctable, nous finirons au fond du trou. Personne n’arrive à se maintenir en jeu pour toujours.

Voyons maintenant les aléas (les rencontres). Rien n’est dû à la chance ni au hasard. Si nous venons à faire telle ou telle rencontre c’est parce que notre itinéraire nous a porté à faire immanquablement cette rencontre. La nature de cette dernière déterminera la suite de notre parcours.


Il existe différents types de rencontres, dont certaines sont défavorables. Parmi celles-ci, il nous arrivera de tomber dans des sortes de pièges, des situations dans lesquelles nous nous enfonçons de plus en plus et où certaines tenteront vainement de se défendre dans l’espoir d’en sortir la tête haute. Mais il n’en est rien. Toute justification est source d’humiliation. Le mieux est de prendre sur soi et de faire profil bas en attendant que la situation se débloque ; et, soyons-en certaines, cela arrivera tôt ou tard.

Un autre exemple d’aléa défavorable est l’aimant. L’aimant nous happe et nous maintient captives. Là encore, rien ne sert de se bagarrer ; arrivera le moment où l’aimant nous lâchera et où nous pourrons reprendre notre chemin. Mais dans ce cas comme dans le précédent notre énergie s’en retrouvera vidée et notre orientation incertaine. Sans inertie, nous serons soumises à la gravité qui nous entrainera vers le fond. Seule une rencontre favorable ou, à défaut, un bon coup, nous aidera à redémarrer.


À l’inverse des aléas qui nous coincent, il y a ceux qui nous font rebondir. On ressort de ces rencontres avec une vigueur décuplée, elles nous ravivent et nous font repartir de plus belle. Et bien qu’elles nous fassent généralement changer d’itinéraire, ces rencontres nous amènent à progresser – ce qui, rappelons-le, est l’unique but du jeu.

Pour monter en niveau, il existe des objectifs, des cibles. Certaines sont atteignables à tout moment tandis que d’autres se présentent aléatoirement et pour une durée limitée. Ces dernières sont souvent les plus fructueuses, il nous faut alors saisir les occasions tant qu’elles sont là. Et puis il y a les portes à franchir ; pour autant qu’elles nous soient ouvertes car quelquefois nous pouvons nous trouver devant une porte fermée et alors, lancées à vive allure, c’est le choc… et il est rude.

Il existe aussi des rampes, des tremplins au bénéfice desquels nous connaissons une rapide progression. Mais il faut prendre garde à ne pas emprunter les mauvaises voies, qui s’apparentent plutôt à des couloirs de la mort et nous envoient directement au fond du trou.


Il y aurait encore bien d’autres aléas que nous pourrions décrire, mais nous avons-là les principaux. Ces aléas couplés aux lois précitées détermineront notre cheminement, notre progression, et notre longévité dans le jeu. En somme, la seule chose qui soit en notre pouvoir est de nous filer nous-mêmes un bon coup de louche à l’occasion et, dans les faits, il s’agit moins de vouloir que de pouvoir. Quand le cas se présente, deux approches sont possibles : s’en remettre au hasard en gesticulant frénétiquement dans l’espoir d’avoir la main heureuse, ou bien saisir l’instant propice pour se redonner un élan bien mesuré en vue d’atteindre un objectif précis ; tout est question de tempérament.

Voilà ce que je peux dire sur le jeu.


En ce qui me concerne, j’ai connu un parcours riche en péripéties : un départ modeste, une ascension progressive, puis vertigineuse et, pour finir, un dénouement fatal.

Je suis entrée dans le jeu enthousiaste, je n’avais pas grand-chose à perdre et j’étais pleine d’espoir et d’ambitions. Après un départ classique, humble mais digne, je suis graduellement passée aux choses sérieuses et, je dois le reconnaître, j’ai eu de la « chance » : je suis de bonne constitution, j’ai fait les bonnes rencontres, et je ne suis que rarement tombée dans les pièges qui sillonnaient mon parcours. En outre, quand les occasions se présentèrent, j’ai chaque fois su m’offrir la bonne impulsion pour atteindre mes objectifs. Tout ceci m’a permis d’accroître mon niveau et de monter dans le classement général.


À un moment donné, une porte s’est soudainement ouverte pour m’offrir un tremplin, et celui-ci me propulsa à des niveaux stratosphériques. J’ai alors réalisé que j’étais proche de battre des records et de détrôner les meilleures ; encore quelques échelons et mon nom serait inscrit dans l’histoire. Et c’est là qu’insidieusement, le désir de triompher et la crainte de tout perdre se sont mis à croître. J’ai commencé à me sentir de plus en plus anxieuse, je ne voulais pas tout perdre, il me fallait me maintenir au sommet quoi qu’il en coûte ; et je reconnais qu’alors je ne l’ai pas toujours joué à la régulière.


La menace de finir au trou devint manifeste, et cela me fut insupportable. Je ne voulais pas plonger alors je redoublais de tricheries et de malhonnêtetés ; je faisais en sorte que tout bouge avec moi, dans un sens qui m’étais favorable. M’agitant de manière frénétique, la boule au ventre, je tentai désespérément d’échapper à la fatalité. Je sais qu’il ne sert à rien de se tourmenter de la sorte… le bon mouvement au bon moment, et c’est reparti ! Mais depuis quelques temps je ne parvenais plus à raisonner correctement.


J’ai souvent évité le pire, et il faut reconnaître que je l’aie joué comme une pro, mais le jeu s’est terminé. Voici comment ça s’est passé : soumise à un stress terrible j’étais néanmoins extrêmement concentrée, et voilà que par une série de mauvaises rencontres j’ai perdu toute ma vigueur. Lorsque c’est arrivé, j’étais en plein centre, la cible parfaite. Mise à l’arrêt, la gravité fut telle que je me suis retrouvée direct au trou. Ce fut une véritable descente aux enfers ; il n’y avait rien à faire, et je le savais, alors je n’ai même pas tenté de me sauver, je me suis laissée emporter par la fatalité : game over.

Je pensais que ce serait fini pour toujours. Mais une fois dans le trou, j’ai réalisé que je me trouvais simplement de l’autre côté. Masquée à la vue d’autrui, invisible, j’existais encore. Simplement je n’avais rien à faire d’autre qu’attendre le moment où recommencer depuis zéro.

En fait, ça n’a jamais vraiment de fin ; et comme je l’ai dit au début, je me suis faite flipper pour rien. Alors suivez mon conseil : amusez-vous ! Car, en vérité, tout ceci n’est qu’un jeu.

 
 
 

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