Jumelles
- gregos343
- Apr 9
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Updated: 13 hours ago
Autrefois, dans un village paisible, naquirent deux sœurs jumelles pareilles à deux gouttes d’eau. Fait remarquable et hautement singulier : elles vinrent au monde précisément au même instant, accolées l’une à l’autre ; leur génitrice y tenait comme à la prunelle de ses yeux, elle ne put les séparer davantage.
Depuis le premier jour, les filles furent inséparables. Indiscernables, rigoureusement identiques tant dans l’apparence que dans le caractère, chaque action que l’une accomplissait, l’autre l’accomplissait simultanément, comme si elles s’étaient concertées à l’avance. Deux conduites égales à tous les égards : elles se déplaçaient d’un même mouvement, les gestes synchrones jusque dans le clignement des paupières, et quand on leur posait une question elles répondaient de concert, à l’unisson, usant des mêmes mots avec les mêmes intonations, si bien que leurs voix (identiques elles aussi) se confondaient. Au quotidien, elles se donnaient corps et âmes aux mêmes activités, affectant les mêmes sentiments en chaque situation, pareillement émues au grand chœur de la vie. En somme, les jumelles faisaient un de tout et de chaque chose ; un cas exceptionnel, unique en son genre. Le plus extraordinaire étant que, durant leur sommeil, leurs rêves étaient identiques en tout point et jusque dans les moindres détails. À en croire que de deux, en réalité, elles n’étaient qu’une.
Les jumelles étaient très appréciées au village ; tous les villageois les aimaient d’un amour égal – comment aurait-il pu en être autrement ? – et, en retour, elles aimaient les villageois d’un amour sans égal. Personne ne s’inquiétait de ne pouvoir les distinguer ; l’on se disait qu’à force d’expériences leurs individualités finiraient par se dissocier, comme lorsque le singulier devient pluriel. Mais leur cas était fort singulier, et non pluri-elle.
Lorsqu’elles atteignirent la maturité, les jumelles décidèrent conjointement d’aller voir le monde. Elles avaient les mêmes bagages, les mêmes envies… elles ne savaient ni l’une ni l’autre ce qui les attendait mais la joie était leur boussole, l’aventure leur cap ; et elles étaient ensemble.
Le jour du départ, tout le village vint acclamer et escorter les jumelles. On leur donnait des « bon voyage ! », « revenez-nous saines et sauves ! » ; et les filles saluèrent en retour, donnant accolades et embrassades à tout un chacun, émues de quitter les leurs.
Parvenues aux frontières du village, au moment d’en franchir le seuil, elles jetèrent un regard en arrière et versèrent une larme – une seule, chacune – avant de franchir le pas et d’entamer leur long périple autour du globe.
Elles voyagèrent de conserve, avançant d’un même pas, à cadence égale, faisant des pauses et s’arrêtant aux mêmes moments. Leur chemin les mena sur les mers et dans les terres, où elles découvrirent des lieux exotiques aux paysages époustouflants, des contrées vierges et sauvages, pures et intactes. Partout où elles se rendaient, des peuples hospitaliers venaient à leur encontre ; et lorsque le soir venu elles s’arrêtaient pour la nuit, elles étaient toutes deux accueillies dans la même maison, se servaient dans le même plat et couchaient dans la même chambre. Et là encore, les sœurs parlaient, mangeaient et dormaient avec une simultanéité hors pair.
Tout voyage apporte son lot de nouveautés et de découvertes. Pourtant, les jumelles en retenaient les mêmes choses, leurs connaissances respectives demeuraient strictement identiques. Leur voyage dura de nombreuses années au cours desquelles aucun évènement ne sut compromettre l’équilibre sensible qui régissait leurs vies. Les sœurs jumelles vieillissaient à même allure, affichant les mêmes rides aux mêmes endroits du visage, et jusqu’à leurs cheveux qui grisonnaient pareillement. Leurs forces, bien que déclinantes, se répartissaient entre elles-deux avec une parfaite égalité ; tout portait à croire qu’elles rendraient leurs derniers souffles au même instant.
Mais avant qu’elles ne rendissent l’âme, les jumelles s’en retournèrent au lieu qui les avait vues naître. Affichant un même sourire heureux et satisfait, elles arrivèrent aux abords du village. Depuis loin, les habitants les reconnurent et accoururent pour les acclamer et les escorter. Les filles les saluèrent avec force accolades et embrassades, émues de retrouver les leurs.
Quand parvenues aux frontières du village, au moment d’en franchir le seuil, elles jetèrent un regard en avant et versèrent une larme – une seule, chacune –, ce fut là l’ultime acte en commun de leurs existences unifiées.
Les sœurs jumelles avaient toujours tout vécu de manière synchrone : elles avaient acquis les mêmes connaissances, raisonné pareillement, vu, entendu, touché, goûté et senti tout de même, éprouvé des émotions identiques aux mêmes instants et jusque dans leurs rêves. Et voici qu’au crépuscule de leurs vies, elles firent deux gestes distincts, deux actes diamétralement opposés : franchissant le seuil du village, l’une se vit passer par l’entrée, l’autre par la sortie.
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