L’alpiniste
- gregos343
- Apr 9
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Updated: 5 hours ago
À l’époque je vivais dans la maison familiale avec mon grand-frère. Lui s’acquittait des tâches indispensables : il cultivait les champs, nourrissait les bêtes, construisait toutes sortes de choses et se pliait aux corvées domestiques ; tandis que moi je m’adonnais à l’étude. J’ai bien appris la littérature, l’histoire, l’économie et l’ingénierie, mais je n’y ai rien trouvé de très exaltant. Car tout mon intérêt était tourné vers l’assouvissement d’une passion dévorante : l’escalade.
Depuis toujours, je suis animé par cette passion. Enfant déjà, je cherchais par tous les moyens à m’élever. Je me suis hissé sur les meubles de la maison et jusqu’au faîte du toit dans le seul but d’avoir une vue dégagée. Dehors, arbres et rochers étaient mes alliés, ils appuyaient mon ascension. Je me suis perché au plus haut qu’ils pouvaient me le permettre, scrutant le ciel à la recherche de quelque chose de plus grand.
Dans le paysage accidenté où j’ai grandi, il y a des buttes partout. Forcément, j’ai été poussé à les atteindre. Mais derrière chaque butte se trouvaient d’autres buttes encore. Il me fallut peu de temps pour comprendre que je devais viser plus haut car les buttes me masqueraient toujours la vue ; j’allais devoir atteindre des sommets.
Mon frère suivait ma progression. Il jaugeait ma méthode, analysait les chemins que j’empruntais, étudiait mes mouvements et surveillait mon équilibre. En son temps, lui aussi avait pris plaisir à grimper et, en bon parent qu’il était, il prodiguait quelques conseils sur la manière d’orienter le regard et de se mouvoir prudemment afin d’évoluer en toute sécurité. J’écoutais ses conseils et les mettais en œuvre. J’ai connu des succès, et des échecs.
Mû par ma passion, je me mis à gravir les sommets les uns derrière les autres. Toujours plus loin, toujours plus haut, je repoussais sans cesse mes limites. Mes hauts faits nourrirent les échanges populaires et j’appris au détour d’une conversation que j’avais reçu un surnom ; on m’appelait : « l’alpiniste ».
Après chaque aventure, je m’en retournais à la maison. Seul et mélancolique, je passais la journée à me morfondre. La nuit tombait et alors mon grand-frère venait me retrouver. L’esprit empreint d’inquiétudes, je lui parlais de mes désirs de plus hautes ascensions et de mes craintes d’y échouer. Il m’écoutait attentivement, hochant de la tête en silence. Sa respiration, calme et sans variations, avait sur moi un effet apaisant. Il écoutait, puis, quand j’avais fini de parler, il prenait la parole brièvement. C’était parfois un avis, parfois une question. Chaque fois, ses mots me faisaient l’effet d’un baume salutaire. Comme lorsqu’il m’apprit que c’est nous-mêmes qui créons nos montagnes et le désir de les vaincre ; il ajouta à cela qu’un sommet n’est véritablement atteint qu’une fois de retour à la maison, et qu’en cet instant, j’étais à la maison. De nous deux, c’était clairement lui le plus sage.
J’avais escaladé les plus hauts sommets, mais ma passion restait inassouvie. Aussi loin et aussi haut que je fus, il y eut toujours plus loin et plus haut. Aussi, pris-je la décision de me rendre sur le toit du monde. Et c’est ce que je fis.
Au sommet du monde, on tutoie l’éternité. De tout côté, l’œil ne trouve rien de plus élevé, rien qui ne puisse masquer la vue. Et pourtant, ce sentiment d’inassouvi refusa de me quitter, je n’arrivai pas à en comprendre la raison. De retour à la maison, j’en fis part à mon grand-frère qui, perspicace, sentit que ma quête n’avais pas encore touché à sa fin : « Tu as vu grand, tu as vu loin. Ce qu’il te manque c’est une vue d’ensemble. » Je ne sais pas ce qu’il a voulu dire exactement, mais à ses paroles j’ai porté le regard au ciel, vers les étoiles, et une idée grandiose m’est apparue.
Je suis monté le plus que j’aie pu et, de là-haut, j’ai contemplé le monde. Immobile, je flottais dans l’infini. C’est alors que j’ai senti le vide, le silence, la solitude. Bercé par l’éternel et immuable ballet cosmique, je pris conscience de n’être rien.
Soudain, comme parvenue d’une lointaine dimension, une voix me sortit de ma torpeur. C’était la voix de mon frère qui me demandait :
- De là où tu es, est-ce que tu vois la maison ?
- …
- Peut-être est-il temps de redescendre sur Terre ?
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