La caravane
- gregos343
- Apr 9
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Updated: 13 hours ago
Les chiens aboient et la caravane passe.
En marche depuis toujours, elle s’étend à l’infini.
Y joindrez-vous vos pas, ô voyageurs indécis ?
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La traversée du désert
Les anciens racontent qu’autrefois il n’existait qu’une seule caravane faisant la traversée du désert. Partout, elle était accueillie avec louange et célébration. Elle apportait la prospérité, offrant un commerce juste et équitable afin que chacun dispose de tout et que personne ne manque de rien. C’était une époque faste où les deux-pattes vivaient en harmonie avec nous, leurs fidèles compagnons de fortune.
Jadis, les deux-pattes ne nous chargeaient pas à l’excès car on n’accordait que peu de place au superflu, on s’en tenait au nécessaire, le périple l’exigeait. Jours et nuits s’alternaient pour donner sa cadence au voyage. Chacun évoluait à son rythme, se reposait au besoin et reprenait des forces avant de réintégrer la longue procession. Les caprices du ciel avaient certes le pouvoir de ralentir la caravane, et parfois l’obligeaient même à faire halte, mais jamais elle ne s’arrêtait, elle progressait sans cesse.
À cette époque, la caravane était menée par un deux-pattes sage et expérimenté, offrant à notre traversée sauvage la quiétude dont elle avait grand besoin. Le caravanier veillait à notre sûreté à tous, il ne laissait jamais quiconque en arrière. Mes frères et sœurs étaient traités avec respect et dignité car, à quatre ou à deux pattes, le voyage était le même pour tous.
Mais l’histoire raconte qu’avec le temps on vit apparaître d’autres caravanes dans le désert. Nombre d’entre elles s’acheminait vers des destinations insensées. Des meneurs vils et cupides maltraitaient nos frères et sœurs dans le but égoïste de régner sur tout ce qui vit. Un voile sombre et terrifiant s’était abattu sur nous.
On dit de moi que j’ai sale caractère, que je suis une bête rétive et capricieuse. Je n’en crois pas un mot ; je m’affirme, c’est tout. La méchanceté et la bêtise me répugnent. Alors quand un deux-pattes me tombe sur la bosse, ni une ni deux, je lui crache à la figure.
J’ai connu beaucoup de deux-pattes par le passé. J’ai eu différents maîtres et j’ai pris part à de nombreux voyages au sein de caravanes menées avec sagesse et humanité. Nous visitions des oasis dans lesquelles nous étions reçus avec cérémonie ; les petits quatre-pattes jubilaient à notre arrivée, et notre séjour était toujours honoré d’abondants festins. Mais les choses ont changé…
Aujourd’hui, les caravanes sont trop nombreuses. Elles sont entrées en concurrence et forcent le pas – en dépit du bon sens car elles se marchent les unes sur les autres – dans le vain but de devancer leurs semblables. Les deux-pattes ont fait de nous des portefaix croulant sous une masse d’objets plus inutiles qu’encombrants (il faut reconnaître qu’ils ont su magistralement joindre le futile au désagréable). Désormais, à l’approche des oasis, les petits quatre-pattes nous assaillent et nous pressent de déguerpir. Les oasis sont devenues des lieux hostiles et répugnants où règnent la misère et la médiocrité. Les caravanes sont responsables, tout est de leur faute. Quand je pense à tout ce gâchis… Qu’elles passent, ces caravanes, je cracherai dessus !
Dans cet infini désert de roches et de poussières, j’avais suivi mes maîtres. Mais c’était leur traversée, pas la mienne. Ils s’étaient ralliés à la caravane, bon gré mal gré, poursuivant le fil que leurs ancêtres avaient tissé pour eux ; et moi, j’avais suivi de force. Mais c’en était trop ! Alors quand l’occasion s’est présentée, je n’ai pas hésité, j’ai déserté.
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Mon douar
Les anciens racontent qu’autrefois il n’existait qu’une seule caravane faisant la traversée du désert. Chaque fois, nous l’accueillions avec louange et célébration. Elle apportait la prospérité, offrant un commerce juste et équitable afin que chacun dispose de tout et que personne ne manque de rien. C’était une époque faste où les deux-pattes vivaient en harmonie avec nous, leurs fidèles compagnons de fortune.
Jadis, les deux-pattes nous témoignaient confiance et affection. Nous étions leurs protecteurs et leurs amis. Car le désert a ses dangers, de jour comme de nuit. Or, nous possédons l’avantage d’avoir des sens développés et des armes tranchantes. Les deux-pattes ont toujours su que, sous notre garde, ils seraient en sécurité, eux et leurs petits. Alors ils nous gratifiaient de caresses et nourritures abondantes, et nous les aimions. Oui… nous les aimions.
À cette époque, quand arrivait la caravane, la joie exultait dans tout l’oasis. À la vue des grands quatre-pattes chargés de milles délices, mes frères et sœurs jubilaient ; car c’était signe de banquet, et nous recevions toujours notre part du buffet. Les deux-pattes s’offraient des cadeaux, s’échangeaient des présents. Les nuits étaient chargées de musique et de chants. À cette époque, quand la caravane passait, la joie régnait.
Mais l’histoire raconte qu’avec le temps on vit passer un nombre croissant de caravanes. Toutes n’étaient pas pétries de bonnes intentions (nos sens développés nous le faisaient sentir). Nous avons fait le possible pour avertir nos maîtres du danger, mais ils ne surent pas comprendre et, dans leur méprise, ils prirent l’habitude de nous rosser et de nous museler pour nous faire taire.
On dit de moi que j’ai sale caractère, que je suis une bête hargneuse et renfrognée. Je n’en crois pas un mot ; je m’affirme, c’est tout. La méchanceté et la bêtise me répugnent. Alors quand un deux-pattes m’en met plein la gueule, ni une ni deux, je lui file un coup de crocs.
J’ai connu beaucoup de deux-pattes par le passé. J’ai eu différents maîtres que j’ai toujours aimés et protégés. À l’arrivée d’une caravane, je les avertissais par mes jappements enthousiastes et joyeux car, autrefois, la venue d’une caravane était synonyme de réjouissance. Mais les choses ont changé…
Aujourd’hui, les caravanes sont trop nombreuses. Nous les voyons défiler à longueur de journée, transportant quantités d’objets étranges pour lesquels les deux-pattes exercent une fascination sans borne. Nos avertissements sont ignorés ou, pire encore, ils sont tus à coups de crosses. Les deux-pattes nous bâillonnent et nous malmènent. Intoxiqués par leur propre voracité, ils ne perçoivent pas l’imminence du danger. Je vois bien qu’ils sont envoûtés, ensorcelés par ces mécréants, et que nos efforts pour les éveiller sont vains. Je pourrais déserter… Mais je suis fidèle. Désormais, quand un grand quatre-pattes approche, je l’assaille et le presse de déguerpir. Notre oasis est devenue un lieu hostile et répugnant où règnent la misère et la médiocrité. Les caravanes sont responsables, tout est de leur faute. Quand je pense à tout ce gâchis… Qu’elles passent, ces caravanes, je n’en ferai qu’une bouchée !
Dans cet infini désert de roches et de poussières, j’habite une oasis magnifique. Il y en existe sûrement d’autres ailleurs, plus grandes, plus belles et plus fertiles… mais cette oasis je ne l’ai pas choisie, j’y suis né. Et j’y resterai ! Les deux-pattes peuvent continuer leur traversée du désert si c’est vraiment ce qu’ils veulent, mais qu’ils s’avisent de passer et – je le jure – ils vont m’entendre : c’est mon douar !
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