Le lagon
- gregos343
- Apr 9
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Il est un lieu légendaire qui, dans toutes les cultures et à toutes les époques, fit l’objet de contes, de poèmes et de chansons ; on l’appelle « le lagon ». Partout dans le monde, le lagon est décrit comme un endroit paisible qu’aucune tempête ne vient jamais troubler, un lieu où le calme règne éternellement. Les récits divergent quant à son emplacement mais tous en parlent en termes songeurs, c’est pourquoi la goutte d’eau se prit à rêver de ce paradis.
Il faut dire que, baignés dans l’océan, on est loin du calme perpétuel : la houle et les courants vous promènent de-ci de-là, les remous vous font tournicoter à en perdre la boussole. Pire encore quand la tempête fait rage : vous êtes projetés de tous côtés, sans répit, des heures durant, jusqu’à épuisement. Mais l’océan offre également des moments de tranquillité. Lorsque les vents s’atténuent et que la houle s’apaise on en vient à connaître une profonde quiétude, une paix qui fait songer au lagon et à sa promesse d’un bonheur parfait.
La goutte d’eau en avait eu assez d’être ballottée d’est en ouest et du nord au sud. Elle s’était décidée à rejoindre le lagon coûte que coûte. Aussi voulut-elle en savoir davantage, et elle interrogea pour cela ses voisines. Seulement voilà : elle s’aperçut bien vite qu’aucune d’entre-elles n’avait quoi que ce soit de précis à dire sur le sujet. Leurs discours restaient vagues, elles débitaient des flots de banalités dont les discordances provoquaient des débats houleux à n’en plus finir. En définitive, la goutte d’eau s’en tint à la seule chose qu’elle avait comprise : le lagon se situe proche du rivage.
Pleine d’entrain, notre goutte d’eau partit bille en tête. Son but était de rejoindre le rivage, quel qu’il soit, puis de le suivre jusqu’à trouver le lagon. Mais les choses se compliquèrent lorsqu’elle demanda le plus court chemin vers le rivage : ici on lui indiquait une direction, et là, une autre. Était-il possible que le rivage se trouve de tous côtés ? Après mûre réflexion, notre goutte d’eau décida de ne plus demander son chemin et de filer droit dans une direction, n’importe laquelle du moment qu’elle gardait le cap. Tôt ou tard, elle finirait bien sur le rivage.
De prime abord, l’aventure lui plut drôlement. Par moments, elle en arrivait même à oublier le but fixé et à simplement profiter du voyage. Mais celui-ci ne pouvait se faire sans tribulations : des mouvements contraires la freinèrent dans sa progression, des courants latéraux la firent dévier de sa trajectoire… Il lui fallait faire grand effort pour maintenir son cap. Chaque fois qu’un remous cherchait à l’en écarter, elle se raccrochait à la pensée du lagon – la mer promise – et cette simple espérance suffisait à lui redonner force et courage pour poursuivre sa pénible odyssée.
Mais un jour, les caprices du ciel la rappelèrent à sa misérable condition. Une violente tempête éclata, gonflant la houle et battant les vagues. La goutte d’eau se vit emportée par les flots. Impuissante face au déchaînement des éléments, ballottée de tous côtés, elle en perdit le nord.
Lorsque la tempête cessa enfin et que la houle s’atténua, notre pauvre goutte d’eau réalisa, dépitée, qu’elle était perdue. Incapable de retrouver son cap, elle errait à présent dans l’immensité océanique, sans passé ni futur. Maudissant le ciel de lui avoir donné cette existence tiraillée aux quatre vents, elle sombra dans une profonde mélancolie. Le temps avait anéanti tous ses espoirs, son rêve s’était évanoui, sa joie aussi.
Noyée dans un immense chagrin, la goutte d’eau ne s’aperçut pas qu’une gouttelette se tenait à ses côtés depuis quelques temps et l’observait, l’air attendri.
« Pourquoi es-tu si triste ? s’enquit la gouttelette.
- Parce que je suis perdue dans l’océan, sanglota sa grande sœur.
- Ben non, tu n’es pas perdue. Tu es ici !
- Tu ne comprends pas... J’étais partie trouver le lagon et la tempête m’a fait perdre mon cap. Je devrais tout recommencer mais je n’en ai plus le courage.
- Ah… le lagon… souffla dédaigneusement la gouttelette.
- Tu connais le lagon ? demanda la goutte d’eau dans un ultime élan d’espoir.
- Oh… Eh bien oui, s’amusa la gouttelette. Il y en a même plusieurs.
- Celui dont je parle est un lieu où le calme règne éternellement, un endroit qu’aucune tempête ne vient jamais troubler.
- Ha ! pouffa la gouttelette. Mais ton lagon… il n’existe pas ! C’est un mythe ! Chaque chose dans ce monde est en perpétuel mouvement. S’il t’arrivait par bonheur de te trouver dans un lagon tranquille, grand bien te fasse, mais tu en sortirais tôt ou tard. Que tu le veuilles ou non, les courants t’y forceront, quoi que tu puisses faire pour essayer de t’y maintenir. C’est ainsi ! conclut la gouttelette dans un accès de jovialité.
- Tu dois avoir raison, concéda la goutte d’eau au comble de la désillusion. Mais alors, comment se fait-il que tu sois si joyeuse ? »
La gouttelette ne s’était jamais vraiment posé la question. Elle prit un instant de réflexion, se demandant ce qui, en effet, la rendait plus heureuse que sa semblable. Puis elle dit simplement : « C’est parce que je ne cherche pas de lagon. »
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