top of page
Search

Le vol de l’éphémère

Updated: 13 hours ago

Je l’avoue (point sans honte) j’ai passé ma vie à me trainer comme une larve, à ramper devant les plus grands. Mais c’est terminé ! Quelque chose en moi est changée. Cette affreuse gaine, qui m’a si longtemps oppressé, a craqué pour de bon ! Un nouveau moi est né, plus leste, plus vif et plus agile ! C’est décidé : à dater de ce jour, je volerai de mes propres ailes ! Le monde m’attend ! Et il est si vaste… Liberté, je t’appelle ! À moi la liberté !


Il y a ici une clairière où demeure un étang aux eaux calmes et tranquilles. Un Pays de Cocagne où il fait bon flâner et rêvasser sous la douce chaleur du soleil d’été. C’est le lieu indiqué pour couler du bon temps ; et pour tout dire, je n’ai nul autre dessein.

J’aime me balader dans cette campagne, m’ébaudir de l’élégance aérienne d’un papillon, prêter l’oreille à la polyphonie des cigales et des grillons, m’enivrer à l’excès des senteurs florales qui composent ce jardin sublime. Où que porte le regard il y a quelque chose à contempler, quelque chose de beau. Et on y fait par ailleurs de sympathiques rencontres ; comme ces ravissantes demoiselles qui batifolent innocemment sur les rives du plan d’eau. Je les observe et me dis en pensée : « Ah… comme il est bon de vivre volage. » Plus loin, sur un tapis de fleurs des champs, une belle dame et sa cousine prennent le soleil. Cette dernière me semble toute exaltée, elle ne tient pas en place. Tendant l’oreille, j’appris qu’étant fiancée depuis peu elle s’était sentie pousser des ailes et rêvait d’explorer le vaste monde. Ô, je lui donne raison, et même doublement raison. Va, vole, ma belle ! Et ne te soucie de rien !


Le monde est somptueux, riche et généreux. Partout la vie foisonne, elle fourmille, elle pullule… des entrailles de la terre jusqu’en haut des cieux. Dieu que j’aime ces contrées sauvages, ces terres de légendes et de mystères. À ce propos, j’ai entendu dire que les forêts alentours abritent des nymphes aux allures enchanteresses. Comme c’est poétique… On rapporte aussi la présence d’un lutin givré – pas méchant, juste un peu frappé sur les bords – mais il est plutôt rare de l’apercevoir. En tout cas, je préfère de loin rencontrer une nymphe ou un lutin plutôt que cette sorcière noire dont on raconte qu’elle porterait malheur à qui croiserait son chemin. Brrr… ça fait froid dans le dos. Mais tout ceci n’est que superstition… je crois.


Moi je me rallie à la bonté et à la beauté, et si chacun faisait de même ce serait le paradis. Mais malheureusement le monde est encore en proie à des luttes imbéciles. En de mornes occasions, vous croiserez des bataillons de légionnaires ravageant les campagnes au passage de leurs chenilles, ne laissant derrière elles que mort et désolation. J’ai rencontré autrefois un de ces lugubres fantassins, un dénommé « la teigne » : pauvre drille qui avait bien méchante réputation. De la vermine, tout ça ! Sans parler de ceux qu’on ne mentionne que sous des pseudonymes macabres, comme cette « horloge de la mort » dont l’écho fait toujours frémir lors des veillées silencieuses.

Ah ! La mort, la mort… Quel ennui ! Moi, c’est l’amour qui m’anime ! Bercé par le chant de la vie, je laisse libre cours à ma volupté ; et en cette belle soirée estivale, étendu sous un amandier, je rêve à la lueur naissante d’étoiles lointaines. L’amour vaincra, j’en suis sûr !


Humm ? Quelle est cette apparition ? Un ange descendu du ciel vient de se poser près de moi. Quelle divine beauté ! Mon cœur chavire en l’instant. Est-ce bien réel ? Serais-je en train de rêver ? Qu’importe ! La vie est un songe.

Dans ces vertes prairies, par une chaude nuit d’été, sous la lueur blanchâtre de la lune, nous avons fait l’amour. Nos corps flottèrent, légers, dans la brise fraîche qui fit danser les fleurs d’amandier. J’ai découvert des délices jusqu’alors inconnus. Fondus l’un dans l’autre, baignés de sensualité, l’amour fit couler dans nos veines le nectar sublime du plaisir hédoniste. Heureux, comblés, nous nous assoupîmes dans l’herbe, blottis l’un contre l’autre, encore brûlants de nos récents ébats.

À mon réveil elle s’était envolée, ma belle éphémère. Est-elle repartie vers les cieux ? Tentant de me relever je sens que mes membres vacillent, je peine à me relever. Mon Dieu ! Je ne bats plus que d’une aile ! Que m’arrive-t-il ? Serait-ce l’amour ? L’amour peut-il être fatal ? Mes forces sont en train de me quitter… je sens venir ma fin… Oui, c’est bien la fin… Mais quelle fin, mes amis ! J’ai connu l’amour et la liberté au cours d’une seule et même journée ! Je suis au comble du bonheur ! Et si l’heure du bilan a sonné, ainsi soit-il ! En somme, j’ai eu une longue vie, une belle vie : trois ans… et un jour.

 
 
 

Recent Posts

See All
La toile blanche

L’artiste s’était éveillé tôt ce matin, poussé hors du sommeil par un élan impérieux : l’inspiration d’une œuvre majeure, possiblement le...

 
 
 
Quelle idée ?!

Quand une idée nous vient, on ne cherche généralement pas à en retracer l’origine, on s’en contente, on s’en réjouit. Elle a déjà pris...

 
 
 
Accordés

Il n’a pas choisi le métier, le métier l’a choisi : il est facteur d’instruments de musique ou, plus simplement, luthier. Des cordes aux...

 
 
 

Comments


Recevez les nouveaux contes

Merci pour votre inscription !

  • Facebook

© 2025 Greg Deman

Oeuvres protégées

All rights reserved

bottom of page