Pierre et le loup
- gregos343
- Apr 9
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Updated: 5 hours ago
Ben tiens ! J’sens qu’c’t’histoire elle va m’rester... D’abord parce que j’m’appelle Pierre. Et ensuite parce que j’l’ai vu en vrai, moi, le loup. Pas comme la Margot, non. Elle, c’est sous la charmille qu’elle l’a vu ; c’est pas pareil. Bref, passons.
V’là plus d’vingt ans que j’fais berger. Enfin, « éleveur », comme qu’y disent d’nos jours. Tu parles Charles ! C’est juste pour s’faire mousser. Ça s’croit sorti d'la cuisse de Jupiter alors qu’c’est bête à manger du foin. J’vous jure, y’en a des qu’auraient bien b’soin d’s’élever... Nan, moi ch’uis berger ! Un berger, ça élève pas ! Ça mont’ le ch’min et ça veille au grain, bon pied, bon œil. Et c’que les aut’ là, y z’appellent des « bêtes », ben moi j’les appelle des « camarades ». Quant à leur histoire de loup… ben c’est du flan !
Y’a un bail qu’on en parle, du loup. Enfin, c’est surtout leur boîte à connerie qu’en parle… à la télé, y nous bourrent le mou : « et qu’y sont pas d’chez nous », « et qu’y passent les frontières », « et qu’y faut pas qu’y z’entrent dans la bergerie », et patati et patata. Foutaises ! C’est qu’y nous f’raient prendre des vessies pour des lanternes ces salopiauds ! Faut leur couper le sifflet, et fissa !
Avec ça, les gens d’chez nous, y s’sont monté l’bourrichon. Y s’mettent la rate au court bouillon, les andouilles... Y z’ont les grelots. Et v’là pas qu’y z’ont la berlue aussi : et loup par-ci, et loup par-là… Noir, brun, beurre… et même blanc. Y est connu, y est partout… mais en fait on l’voit nulle part. On bat la campagne et on fait buisson creux ; peau d’balle et balai d’crin ! Des fouines, des rats, ça on en trouve. Mais des loups ?!
‘ttendez, c’est pas l’pire. Avec ça, qu’esse qu’y font mes « collègues ». Ben, y numérotent leurs abattis, pardi ! Y construisent de bons gros enclos, avec de belles grosses murailles bien hautes, pour qu’y arrive rien à leurs « bêtes ». C’est sûr, y leur arrivera rien… vu qu’rien n’peut leur arriver.
En vrai, c’est d’la faute aux fesse-mathieus, ces m’sieur-dames qu’on d’la branche là ; moi j’vous l’dis. C’est qu’y z’ont du foin dans leurs bottes, les cochons ! Mais y sont plus bons qu’à sucrer les fraises. Ahh j’les entends v’nir : « on a bossé, on l’a mérité ! » Du foin ! (ça c’est mérité !) S’lon vous, c’est quoi qui chasse le loup hors du bois, hein ? Z’êtes bouchés à l’émeri, ma parole ! Ouvrez donc vos quinquets au lieu d’monter sur vos grands chevaux : sec comme des coups de trique qu’y sont, les loups. Ça fait une paye qu’y bouffent d’la vache enragée, pour sûr qu’y z’ont les dents longues… y z’ont les crocs ! En vrai, c’est eux qu’y s’font manger la laine sur l’dos. Faut r’mettre les choses dans l’bon sens : c’qu’y faut, les p’tits loups, c’est les tirer du ruisseau, un point c’est tout !
M’enfin… j’vous dis ça mais en général j’le garde pour moi. J’laisse pisser le mérinos parce que sinon j’vais encore m’faire appeler Arthur.
Allez… j’m’en vas vous l’raconter, moi, comment qu’il est l’loup.
C’était l’aut’ soir, j’allais à la graille quand j’ai entendu crier au loup. Ni une ni deux j’suis monté au créneau. Et v’là pas que j’tombe sur un camarade égorgé. « Nom di Diou ! » qu’j’ai gueulé. Sûr que j’suis pas un brave à trois poils, mais j’suis quand même allé droit dans l’bois. Et c’est là que j’l’ai vu… le « loup ».
Quand j’ai raconté aux aut’ c’que j’ai vu, ben y z’en ont fait des gorges chaudes, les saligauds. Y sont allés raconter qu’j’ai encore été dans les vignes du Seigneur, qu’j’me suis cramé l’burlingue. Je r’connais qu’j’avais éclusé un ou deux godets avant l’souper... mais j’suis pas miro, j’sais c’que j’ai vu ! Alors d’vant les gars j’me suis pas démonté, j’leur suis rentré dans l’lard. Et v’là qu’maint’nant y disent qu’j’yoyote de la toiture, qu’j’ai une araignée dans la coloquinte. Ah ben me v’là bien habillé pour l’hiver, tiens !
Donc leur loup, là… Ben il est grand, le poil ras, la queue droite… et une belle paire de cornes sur la caboche : c’t’un bouc, leur loup ! Et le camarade taillé en pièce, ma main au feu qu’c’est encore un coup du père François pour semer la zizanie. Mais les aut’ là, y pigent que pouic. Y disent que j’bats la breloque, z’y croient pas à mon histoire.
On va encore dire que j’me pousse du col… mais j’suis un authentique paysan du Danube, moi. J’suis pas tombé d’la dernière pluie. C’que j’ai vu, c’est bien un bouc. Alors qu’y z’aillent tous se faire lanlaire, ces couillons ! Y veulent croire au barbu ? C’est ballot ! Y vont s’faire rouler dans la farine. Parce que leur chasse au loup, là… c’est le miroir aux alouettes. Les vrais loups, c’est pas ceux qu’on croit. Et ces loups-là, y s’mangent pas entre eux, c’est connu ; y s’entendent comme larrons en foire, y mènent la danse. C’est qu’y s’rait pt-être temps d’nettoyer les écuries d’Augias, braves gens ?!
Oh ça, vous d’vez bien avoir vos raisons d’penser comme vous pensez… mais j’m’en moque du tiers comme du quart ! Y’en a marre d’vot’ querelle d’Allemand ! Foutez-nous la paix ! Ou allez au diable, vous, et vot’ bouc avec !
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