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Salut !

Updated: 13 hours ago

Qui sait si l’homme n’est pas un repris de justice divine ?

Victor Hugo, Les Misérables [IVe partie, Livre 7-1]


*******

L'UNE : t’en prends pour combien, toi ?

L’AUTRE : vingt-sept ans.

L’UNE : mince !

L’AUTRE : quelle importance ?! D’toute manière, pour toi comme pour moi, c’est perpète, pareil !

L’UNE : ah…

L’AUTRE : …

L’UNE : …

L’AUTRE : et toi, combien…

L’UNE : moi ?! Quatre-vingt-un ans.

L’AUTRE : mazette ! Quatre-vingt-un !

L’UNE : ouais, j’sais… c’aurait pu être pire, j’ai pas à m’plaindre.

L’AUTRE : tout d’même… Quatre-vingt-un ans !...

L’UNE : ouais…

L’AUTRE : et tu plonges pour quoi ?

L’UNE : blanchiment.

L’AUTRE : blanchisserie, tu veux dire ?

L’UNE : oui oui, c’est ça ! blanchisserie ! C’est c’que j’vais faire là-bas. C’est chouette !

L’AUTRE : tu m’en diras tant…

L’UNE : …

L’AUTRE : quatre-vingt-un ans… pfiou !

L’UNE : ouaip ! J’me réjouis !

L’AUTRE : ah, parce que tu vas m’dire qu’ça t’plait en plus ?

L’UNE : ben ouais ! Y parait qu’on a du temps pour soi, qu’on fait plein d’activités. Et pis on forme des clans, on fait partie d’une famille, on se protège, on s’aime quoi ! Et pis faut dire aussi qu’on est nourris-logés j’te rappelle.

L’AUTRE : Et blanchis !

L’UNE : très drôle…

L’AUTRE : hmmm…

L’UNE : …

L’AUTRE : …

L’UNE : et toi, tu tombes pour quoi ?

L’AUTRE : viole.

L’UNE : QUOI ?!

L’AUTRE : m’en parles pas ! Et tu veux savoir la meilleure ? À la fin, j’serai au violon. C’te blague !

L’UNE : remarque, c’est bien musicien.

L’AUTRE : à d’autres ! Musicien c’t’une vie d’crevard ! VINGT-SEPT ANS !!! BON DIEU DE…

L’UNE : …

L’AUTRE : …

L’UNE : dis, tu savais qu’les gardiens, eux, ils ont choisi d’y être ?

L’AUTRE : ouais ouais… Y’en a d’tout type à c’qu’on raconte. Paraîtrait qu’y sont là pour nous r’mettre sur l’droit ch’min. À d’autres !

L’UNE : ben moi j’espère qu’j’aurai un bon gardien.

L’AUTRE : à c’qu’y m’semble, tu choisis pas. Y pourrait être complètement naze, ton gardien.

L’UNE : à Dieu ne plaise !

L’AUTRE : ouais, m’enfin…

L’UNE : …

L’AUTRE : bref. Tu commences quand, toi ?

L’UNE : demain.

L’AUTRE : eh ben ! Moi, y’a des lustres que j’attends ! Et à l’allure où vont les choses… C’est pas comme s’il avait tellement à faire l’autre.

L’UNE : qui ça ?! Le juge ?

L’AUTRE : ben ouais. Depuis les lois, on n’peut pas dire qu’Monseigneur s’soit donné tant d’mal.

L’UNE : fais gaffe à c’que tu dis ! Y parait qu’il entend tout… et qu’y donne des r’mises ou des réduc’ de peine. Y peut intervenir en ta faveur ou en ta défaveur, c’est selon.

L’AUTRE : j’suis pas convaincu qu’il intervienne… ni toujours, ni même parfois. Pour tout t’dire, j’l’ai jamais vu, moi, le juuuge.

L’UNE : moi non plus… mais j’sais qu’il est très haut, et tout puissant !

L’AUTRE : c’est ça… Arrête ta lèche ! Y s’prend pour Dieu l’père et puis c’est nous qu’on ramasse. T’as vu l’bazar ?! Il arrête pas d’planter ! Le Grand Ordinateur… Laisse-moi rire ! Ou bien alors y laisse faire… y nous laisse nous démerder avec son foutoir.

L’UNE : pt-être qu’il a un plan pour nous ?

L’AUTRE : c’est bien c’que j’dis : y nous laisse en plan… le Grand Architecte... Ha !

L’UNE : tu d’vrais faire gaffe à c’que tu dis, quand même…

L’AUTRE : mouais…

L’UNE : …

L’AUTRE : …

L’UNE : tu sais qu’y parait qu’il a sept noms… Y doit être d’une grande noblesse, c’est sûr.

L’AUTRE : des noms, il en a sûrement des milliers… Y’en a qui disent qu’il en a quatre-vingt-dix-neuf – pile poil, dis-donc ! – plus son prop’ nom, ineffable.

L’UNE : Y-né-fable ? Drôle de nom…

L’AUTRE : J’te l’fais pas dire.

L’UNE : …

L’AUTRE : …

L’UNE : en tout cas, moi, j’ai l’intention d’bien m’tenir. Comme ça, j’aurais pt-être droit à une r’mise de peine. J’dis pas non à quelques années d’plus… même s’y parait qu’quand on sort c’est l’paradis.

L’AUTRE : l’paradis ?! L’enfer, ouais ! Regarde, nous, on aura beau s’payer une visite au pénitencier pour s’faire absoudre, ça chang’ra qu’dalle ! Retour à la case départ, c’est tout !

L’UNE : ah bon ?...

L’AUTRE : ben ouais !

L’UNE : si c’est comme ça qu’tu l’vois…

L’AUTRE : …

L’UNE : moi j’crois qu’on est là pour racheter nos fautes passées… qu’c’est parce qu’on est dans l’erreur qu’on r’plonge.

L’AUTRE : on r’plonge toujours. C’t’un cycle perpétuel, tu piges ? La vie s’répète, tout r’commence.

L’UNE : mais l’truc – à c’qu’on dit – c’est qu’y faut nettoyer son karma. Comme à la blanchisserie. Tu nettoies tu nettoies tu nettoies, jusqu’à être tout prop’ ! Et là, t’es enfin libre. Le « nirvana » qu’ils appellent ça.

L’AUTRE : Parce que tu crois qu’ça finit là ?! Ben voyons !… Mais non ! Ça continue ! Encore et toujours ! On en a pour l’éternité j’te dis ! Perpète !

L’UNE : ouais, t’as pt-être raison…

L’AUTRE : je veux qu’j’ai raison.

L’UNE : en tout cas, si c’est sympa, moi j’y r’tourne volontiers !

L’AUTRE : mouais… ça dépend... Y’en a qui s’sont fait pigeonner.

L’UNE : ah ouais ?!

L’AUTRE : ouais ! M’enfin… vaut mieux ça que d’devenir chèvre.

L’UNE : moi, tel que j’le sens, j’serai comme un coq en pâte !

L’AUTRE : moi, par contre, j’suis fait comme un rat...

L’UNE : …

L’AUTRE : …

L’UNE : tu sais, l’important c’est d’y croire.

L’AUTRE : ça t’as par tort. Parce que, s’y faut, c’est seulement à cause d’ces foutues lois – prétendument universelles – qu’toi et moi on s’ra en cellules pour un bail.

L’UNE : c’est une possibilité, ouais.

L’AUTRE : suffit d’y croire...

L’UNE : …

L’AUTRE : bon. Allez. Arrêtons la gamberge. Parce que demain, quand on t’aura descendue, tu sais de quoi tu te rappelleras ? De rien. Nada. Que dalle !

L’UNE : ah… ben… ma foi…

L’AUTRE : c’est ça ! ta foi ! C’est à peu près tout c’qui t’restera : ta foi.

L’UNE : c’est mieux que rien.

L’AUTRE : …

L’UNE : …

L’AUTRE : ouais. bon ben… c’est pas tout ça mais…

L’UNE : hmm hmm…

LES DEUX : salut !

 
 
 

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